jeudi 23 octobre 2014

Défi NB - 1 - La première.

Jennifer m'a collé un défi aux fesses, via Facebook. Le genre de truc viral auquel, habituellement, je ne prête aucune attention. Une fois n'est pas coutume, je m'assois confortablement sur mes préjugés et tant pis, autant se lancer.

But du jeu: poster cinq photos noir et blanc dont on est l'auteur. Nommez (ou pas) quelqu'un qui devra prendre le relai.

But du jeu amélioré à la sauce Boulette: poster cinq photos noir et blanc dont je suis l'auteur (jusque là tout va bien), chronologiquement suivant leur date de prise de vue, accompagnées d'un récit. Chacune d'entre elles a été marquante.
Vous ne verrez peut-être pas les plus belles, les plus discutées, les plus vendues ou les plus exposées. Par contre, vous allez chaussez mes baskets et parcourir avec moi neuf ans d'apprentissage, d'échecs, de sueur, de découvertes, de joie, d'encouragements, de professionnalisation et d'abstraction.

Prêts ?


Septembre 2006. J'ai dix sept ans. Je viens d'entrer en terminale. Une amie timide me demande de l'accompagner à la réunion de présentation du club photo du lycée. Je m'en contrefous du club photo, mais dehors il pleut, et la salle est chauffée. J'en sors avec un papier d'inscription et une convocation au premier cours. Sans grande conviction, je déserte temporairement la salle de musique du lycée où je répète tous les mercredis avec mon groupe de rock, pour descendre trois étages et ouvrir la porte d'un local dont je n'avais, jusqu'à ce jour, pas connaissance. Ça pue l'humidité. Super accueillant.

Non, je n'ai pas d'appareil photo. Je n'ai jamais pris de photo, d'ailleurs. Oui, mes parents doivent sûrement en avoir un, planqué au fond d'un placard, je verrai ça plus tard. A la semaine prochaine.

"Sérieux, kess que j'ai pu en foutre de ce vieux truc ? Y'a tellement de bordel là-dedans, j'y vois rien. Va demander à ton père. Ah tiens, j'ai un truc là ! Mais c'est le mien celui-là, celui de ton père, je crois qu'il est mort depuis un moment. Prends le, tu verras bien s'il marche encore."

La bestiole atterrit dans mes mains avec la délicatesse d'une poutrelle au port du Havre. Massif, mécanique, un changement de bruit et ça repart. Le bruit du déclenchement a un vague goût de madeleine. Je me souviens de l'avoir vu au cou de ma mère, à chaque sortie, chaque semaine de vacances dans les Pyrénées, chaque fête. "200 zaza quand il fait beau, 400 zaza quand il fait pas beau, tourne jusqu'à ce que ce soit net" sont les seuls mots qui viennent chatouiller ma mémoire. Mon père, habituellement muet comme une carpe, daigne se pencher sur le problème: comment marche ce truc ?

"En 83, on s'est fait ouvrir une cantine en fer en Afrique, tout a disparu, la hifi, les câbles, les fringues, et aussi mon vieil Olympus. A l'époque, on avait des sous, on a craqué avec ta mère, un appareil photo neuf pour chacun, du Minolta, un truc tout moderne. J'ai pris un XD7 pour moi et un X500 pour ta mère, celui que t'as dans les mains. Il marche encore, c'est dingue, on a traversé le désert plusieurs fois, il a pris la flotte, le sable, les coups, et la poussière du placard.

On va faire simple pour commencer. Leçon 1: on/off. C'est bon, t'as suivi ? Leçon 2: zone system. Supposons que..."

Je suis larguée. Déballage rapide de termes techniques inconnus au bataillon. Contraste, mesure pondérée centrale, blocage d'exposition, compensation, pose pour les ombres, rattrape les hautes lumières au développement... Rien compris. Je visse un objectif et sors me promener au village. Les rues que je connais par cœur pour y avoir traîné mes savates depuis mon plus jeune âge deviennent d'un coup un terrain de jeu très intéressant à travers le viseur.

Ville haute, la "petite rue de derrière chez Michel et Odette". La maison d'Odette, mamie poule intarissable sur les derniers potins du quartier, a trois étages. J'y ai passé de nombreuses après midis, gamine, à chercher toutes les planques possibles et imaginables pour qu'on me foute la paix. "On" me laissait faire, bien entendu, trop occupée à boire dix-sept cafés dans la cuisine en papotant, tout en faisant consciencieusement dix-sept ronds de tasses caféinés sur la toile cirée qui colle.

Parfois, je m'échappais par la petite rue de derrière, pour aller piquer une bouteille de Coca en verre dans le frigo de l'atelier. Et en profiter pour observer Michel au travail. Bricoleur hors pair, toujours bien apprêté et jamais avare d'explications sur ce qu'il était en train de faire dans son atelier, ce petit papi tassé, roi de la vanne fleurie en son royaume rempli de machines toutes aussi bruyantes les unes que les autres, m'a appris patiemment les rudiments du tour à bois sur des toutes petites chutes. Pièces de jeu d'échec, porte-clé, tout y est passé.

Et merde, me voilà à rêvasser, l’œil dans le viseur, bêtement plantée en plein milieu de la rue. Ici, aucune voiture ne passe, même les parigots égarés ne s'y aventurent pas. Je cadre en prenant bien soin d'inclure le mur de la maison d'Odette et Michel. Le bruit du déclenchement me ravit. Presque autant que celui du levier d'armement. Je viens de prendre ma première photo, de ma première péloche, avec mon premier appareil photo. Et puis tiens, si j'allais gratter à la vitre pour voir s'il ne reste pas, par hasard, une bouteille de Coca en verre cuvée 1995 dans le frigo ?

Je développe, la semaine suivante, le-dit premier film au labo du lycée, non sans galérer joyeusement. Les blagues des habitués vont bon train, et ma première planche contact est honteuse: à cause d'une fuite de lumière dans le boîtier, presque toutes les photos sont voilées. Sauf la première. Voilà qui m'avance bien. Je pars, déçue. On me rattrape. Faut pas que je m'inquiète, le boîtier, on va le réparer, lui remettre des mousses neuves, et ça repartira comme en 83. Si ça me dit d'apprendre à tirer ? Maintenant ? J'ai un cours, mais j'en suis plus à un séchage prêt. Va pour l'initiation.

En sortant de la salle obscure et puante plusieurs heures plus tard, une banane indécollable s'étire entre mes deux oreilles. Je viens d'accrocher mon premier tirage RC au fil de séchage, non sans avoir flingué une quantité honteuse de papier gracieusement payé par le lycée. Je n'ai aucune idée de l'ampleur que va prendre ce qui n'est même pas encore une passion naissante, mais je m'en fous, je suis contente. Et bonne pour deux heures de colle supplémentaires.

Elle est moche, mal tirée, sans aucun intérêt, mais c'est ma toute première photo. Prise à Estang, mon petit bled perdu au fin fond du Gers.



















Désolée pour la longueur, je tâcherai de faire plus court pour les quatre photos restantes.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

j'aime bien
signé kta plongeur

Tubudum a dit…

J'aime beaucoup ^^ Et tu vas refaire des bédés aussiiii ? *yeux de chaton*

PS : geeenre tu vois d'où viennent tes visiteurs ! Faudrait que je teste :P