dimanche 9 novembre 2014

Défi NB - 4 - Ecosse.

"Les filles, je m'arrête deux minutes à la cascade pour prendre une photo, ne m'attendez pas, je vous rejoins après."

"Deux minutes, tu parles... A ce soir !"

Deux minutes plus tard, je suis encore en train de tourner autour de la-dite cascade, sans savoir où poser mon trépied. L'angle, bordel, trouve le cet angle magique qui donnera ce petit truc en plus à ta photo ! La pluie, le vent, on s'en fout: on y est, on en profite. Les copines ont déjà pris le large, je vois les k-way rouge et noir s'éloigner. Tant mieux. Enfin seule. C'est pas que j'aie du mal avec la compagnie des humains, mais parfois, se retrouver seule face à l'étendue infinie des œuvres de dame nature, c'est un plaisir indescriptible. Mais comment donc s'est-elle retrouvée là, cette andouille de photographe ?

Juin 2013, sur l'île de Skye, côte ouest de l'Ecosse. L'idée a été lancée quelques mois auparavant par Kafka, amoureuse de la bruyère écossaise au point d'y revenir tous les ans: les filles, on prend la voiture, les tentes et les sacs à dos, et on se barre ! Il n'en fallait pas plus pour motiver Léo, deuxième copine raffinée, et moi-même, en manque cruel de déconnexion et proche du pétage de plombs salarial. La vie, la vraie: CDI, 39h, bien payé (kof kof...), planplan à souhait, travailler plus pour produire plus pour engraisser plus le grand dieu du capital. La-dite divinité logeant à peu près à 6000 bornes de mes objectifs de conquête du monde à grands coups de pâquerettes, pas besoin de sortir d'une grande école pour comprendre qu'il y a de la friture sur la ligne, et que deux malheureuses semaines de pause en dehors de la fourmilière ne seront pas de trop.

Coffre blindé, caisses de bouffe et d'eau remplies, bonne humeur contagieuse de rigueur, la relou-mobile nous emmène gaiement sur presque 5000 bornes de routes françaises, anglaises et écossaises. Plus ou moins larges, souvent sinueuses, parfois peuplées de moutons têtus; toi, humain motorisé, tu ne passeras pas avant que j'enlève mon gros cul laineux d'ici !

Si certaines personnes, avant de partir en voyage, vident plusieurs fois leur armoire avant de réussir à trouver LA paire de jean's moule-cul/Ray-Ban assorties au-dit instrument de compression de popotin/maillot de bain troooooop saiksy t'as vu/boîte de capotes lubrifiées/rayez la mention inutile, j'avoue avoir expédié rapidement le problème: k-way, godasses de rando, pansements pour les ampoules. Kafka, j'entends d'ici ton rire gras, OUI j'avais des pansements pour les ampoules cette fois-ci.

La principale source d'arrachage de cheveux pré-voyage, pour une photographe qui tend vers l'auto-respect assumé, c'est la question du matos. Je prends quoi ? Numérique ? Argentique ? Les deux ? Combien d'objectifs, cartes mémoire, batteries ? Grand angle ? Téléobj ? Noir et blanc ? Couleur ? Trépied, pas trépied ? GoPro ? J'hésite. Je charge, décharge, recharge, pousse, tasse, cherche le moindre centimètre libre dans le sac photo. Puis change de sac. Fractionne le chargement en deux. Remets la main sur une sacoche. Cours en catastrophe à Cirque Photo pour chercher une housse néoprène pour le boîtier, et une troisième platine de trépied (ne me demandez pas où sont parties les deux premières). Attache le trépied au sac. Détache le trépied. Rattache le trépied autrement. Admire l'oeuvre, savamment emballée, après plusieurs heures de lutte féroce. Change de couleur devant l'étonnement de Kafka au moment de charger la relou-mobile: "T'es sérieuse, tu prends TOUT CA ? Hé j'ai une Kangoo moi, pas une bétaillère.". Contorsion, distorsion, tétrissons, le tour est joué, j'me suis faxée à ma place. Ma jambe droite trouvera admirablement bien sa place entre le sac à dos et la sacoche d'un côté, et le trépied de l'autre. Quant à la gauche, si vous la voyez, ramenez la, parfois j'en ai besoin.

Revenons-en à nos moutons mal peignés: la photo de paysage. Vaste blague que j'évite sciemment depuis plusieurs années. Je n'ai jamais photographié un seul paysage, si on occulte les vides souterrains. Composer au grand angle me fait transpirer, me passer d'un humain dans mon cadre relève de l'hérésie.

Et pourtant.

Me voilà à chercher où poser mon trépied (si possible sur un rocher en plein milieu d'un torrent glacé), visser toutes sortes de filtres sur mon 24mm, et attendre patiemment que tout humanoïde quitte le rayon d'action (redoutablement large) du grande angle de compétition. Tirant la perspective, rabaissant le point de vue, multipliant les poses longues même en plein jour, je me découvre avec grand plaisir un faible pour le processus lent de la photo de paysage. Cette lenteur là semble bienvenue; au lieu d'exaspérer mes comparses de promenade, elle leur permet de vagabonder à leur gré pendant que je m'enferme volontairement dans ma bulle d'ours mal dégrossi, option sourire du plombier en cas de trépied planté trop bas. Un vrai régal pour les nuages de midges environnants ! Gare à celui ou celle qui osera venir me titiller pendant que j'opère: durant trente secondes, dix minutes ou une heure, plus rien n'existe en dehors de mon cadre. Nuages, brindilles, moutons, tout le monde est au diapason. Chef d'un orchestre estampillé Nikon, j'attends. Pas le déluge, ce serait de la gourmandise, il se prépare déjà au loin, mais plutôt le bon alignement de tous les éléments bien entassés dans mon viseur.

Deux minutes plus tard, comme promis, je lève le nez, décroche le boitier, replie le trépied et range tout mon fatras de filtres. 1h30 s'est écoulée depuis que j'ai congédié les copines, cent mètres en aval. J'aime quand un plan dans ce genre là se déroule sans accroc.





Le retour au continent, s'il était sensé me rebooster pour tenir le coup au boulot jusqu'aux vacances tant attendues de l'année suivante, n'a eu que l'effet inverse sur ma petite personne (profondément) dérangée (vous diront certains, ne les écoutez pas). La déconnexion a été trop courte. Quelque chose me démange dans les jambes, j'ai mal au cul à force de travailler assise sur une chaise rembourrée hors de prix, tout prétexte est bon pour abandonner mes obligations. Docteur, chuis malade, je deviens claustro, comme un lapin malheureux de devoir regagner son clapier hivernal après avoir gambadé hors de son enclos. La fourmilière parisienne a eu raison de ma patience, et m'oblige plus que jamais à gonfler à bloc ma bulle protectrice avant de m'engouffrer tous les jours dans les dédales surpeuplés du métro. Serre les dents, ça va passer, va t'aérer dans les catas, et arrête de râler.

Une deuxième incursion en territoire écossais, un an plus tard, renforce mes doutes. En groupe, difficile de se désolidariser bien longtemps du troupal. En cas de météo capricieuse, il faut attendre. Pas cinq minutes. Une heure, un jour, plusieurs jours si besoin. Prendre son temps quand on minute scrupuleusement ses deux semaines annuelles d'échappatoire est quasi-impossible. Rentrer blasée de n'avoir rien pu sortir de bon de son appareil photo pendant deux semaines, ça rend fou. Et surtout, ça réactive la turbine à bêtises.

La prochaine promenade sera plus longue, plus lente, plus solitaire, plus réfléchie. Et surtout, elle sera. Point barre (à mine pour les sensibles).





2 commentaires:

Sébastien Chion a dit…

Ah… la question du matos… j'ai attaqué mon raisonnement sur des bases fort simples : « je vais être en stop, faut que je voyage léger, j'emmène presque rien. Mon Tamron 17-50 F2.8 dont je suis amoureux et qui passe 98% de mon temps sur l'objectif, c'est absolument parfait. Je n'ai besoin de rien d'autres. Parce que moi, en voyage, je ne fais plus que du paysage. Les photos d'écureuil au télé-objectif c'est plus mon truc de toutes façon. Mon 70-200 il est lourd et encombrant, je le laisse à la maison. » Ça, c'était jusqu'à ce que je réalise « quoi, mais y'a des bisons en liberté dans les bad-lands et à Yellowstone ? ». Je reconnais, je me suis un peu maudit… pour le trépied, par contre, j'ai appris à vivre sans. Alors que j'adore les poses longues et les time-lapse, j'arrive à vivre sans trépied. Et en effet, il ne m'a pas manqué. Mais je regrette encore amèrement d'avoir laissé le 70-200 derrière moi… Ah, qu'il est bon de voyager en van, quand on n'a pas vraiment besoin de se poser la question de ce que l'on amène ou pas. Que je regrette de ne plus voyager avec une imprimante A3 ! Et oui, l'un de mes petits plaisirs de voyageurs… avoir une imprimante grand format à bord… à l'époque où tout est numérique, où tout disparait instantanément, pouvoir imprimer des souvenirs, c'est chouette. Mais bon… en stop, c'était pas vraiment envisageable…

Sur ce… il va vraiment falloir que l'on parle bientôt de cette prochaine balade. Personnellement, je ne compte plus les vagabondages en semaines, mais en mois :)

Boulette a dit…

Je vois qu'on s'embourgeoise vite ! L'imprimante A3 dans le van, quel luxe, ça va me donner de mauvaises idées d'aménagement pour la future Boulette-mobile ça, fais gaffe. ;)

L'année dernière, je n'avais pas de 70-200 (il m'a pas manqué), ni de 14mm, cette année oui. J'ai pris trois ou quatre photos avec chacun de ces objos, le reste du temps c'était au 24-70. Le 70 200 est farpait pour les photos de phoques beaucoup trop loin dans le port, bien entendu, sinon c'est pas drôle. Ce gros engin d'un kilo 500 (à rajouter aux 900g du boîtier), mine de rien, ça pèse. Et je sens que pour la suite, c'est lui qui va m'emm... le plus au moment de boucler mon sac.

Trépied, par contre, impossible de m'en passer. Léger (et bancal - à rafistoler souvent), il s'accroche facilement au sac.

Bon choix pour ton transtandard Tamron, je l'avais sur un boîtier Canon y'a plusieurs années, il est vraiment bien, et il pèse presque rien. Parce qu'au final, c'est pas le sac à dos de quinze kilos qui vrille le dos (quoique...), c'est le sac de matos de 5 kilos porté devant !